Meshell Ndegeocello, l’esprit de James Baldwin

Habité par l’esprit et le feu du grand écrivain et activiste né il y a exactement 100 ans, cet album est à la fois une nouvelle expérience musicale proposée par l’une des musiciennes les plus importantes de son époque, une procession, un pamphlet sur la lutte des races et des classes aux Etats-Unis et un appel à l’action.

Près de quarante ans après sa mort, la vision et la puissance de l’œuvre et du propos de James Baldwin n’ont pas été démenties. Écrivain prolifique, ses essais, romans, pièces de théâtre et poèmes ont dépeint et souvent critiqué la condition humaine. En tant qu’activiste, ses prouesses oratoires dans les années 1960 étaient sans précédent, Baldwin exposant ses opinions franches sur l’oppression des Noirs avec profondeur et éloquence.

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Cette année marque le centenaire de l’éminent écrivain, né à New York le 2 août 1924, – un événement capital célébré par la sortie de l’un des disques les plus audacieux de Meshell Ndegeocello à ce jour : “ No More Water : The Gospel Of James Baldwin”.

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Avec “No More Water”, Meshell Ndegeocello se lance dans une odyssée musicale prophétique qui transcende les frontières et les genres, s’emparant des questions raciales, de sexualité, de religion et d’autres thèmes récurrents dans l’œuvre de Baldwin. Après “The Omnichord Real Book”, son premier album pour Blue Note, acclamé dans le monde entier et pour lequel elle a remporté le premier Grammy Award du “meilleur album de jazz alternatif”, la multi-instrumentiste, chanteuse, compositrice et productrice livre une oeuvre immersive, pénétrante et introspective à l’image de James Baldwin.

Sur “No More Water,” qu’elle a co-réalisé avec le guitariste Chris Bruce, Meshell Ndegeocello s’associe de nouveau avec ses collaborateurs réguliers Josh Johnson (saxophone), Jebin Bruni (claviers) et Abe Rounds (batteur) et invite la chanteuse Kenita-Miller Hicks, les clavieristes Jake Sherman et Julius Rodriguez et le trompettiste Paul Thompson. On entend aussi sur l’album le spoken-word de l’illustre poétesse Staceyann Chin et du critique et auteur, lauréat du prix Pulitzer Hilton Als.

Conçu sur une période de près de dix ans, l’album trouve sa genèse en 2016, à l’occasion d’une performance à la Harlem Stage Gatehouse, où l’on célèbre tous les ans l’œuvre de Baldwin. L’année précédente, Ndegeocello s’était immergé dans le travail de Baldwin et notamment dans son essai fondamental “The Fire Next Time” (La prochaine fois, le feu) dont elle considère qu’il lui a “changé la vie” et qu’elle transporte avec elle comme “un texte spirituel”.

Ce livre fut une révélation pour moi et a adouci mon coeur de bien des manières, précise Meshell, la découverte de l’œuvre de Greg Tate avait ouvert la voie mais rien ne m’a touché autant que The Fire Next Time. C’est comme s’il y était question de ma famille, particulièrement le premier chapitre : j’ai grandi entourée d’hommes noirs qui ne voulaient pas être vus comme doux et c’est ce dont il parle dans la lettre à son neveu”.

Les essais de Baldwin ont permis à Meshell Ndegeocello de mieux comprendre l’histoire difficile de la lutte des races et des classes aux Etats-Unis, en particulier son impact durable sur elle et sa famille. “En tant que noirs américains, nous sommes dépourvus de tout fondement historique autre que celui que vos parents vous donnent. Cela m’a permis de vraiment voir ce que mes parents ont vécu.”

Open jazz

54 min

Je crois que mon père est devenu alcoolique quand il a compris qu’il ne dépasserait pas un certain rang social. Ma mère était une domestique qui n’est pas allée plus loin que l’école primaire. Je les ai vus essayer d’élever des enfants, faire durer leur mariage et tâcher d’être des individus dans une société raciste, sectaire et classiste

“No More Water” est un titre à double-sens tiré de “The Fire Next Time”, qui réunit deux essais examinant le racisme en Amérique au début des années 1960 : “My Dungeon Shook: Letter to my Nephew on the One Hundredth Anniversary of the Emancipation” et “Down at the Cross: Letter from a Region of My Mind.” C’est aussi une référence à l’enfance de Baldwin en tant que fils de prêcheur pentecôtiste et l’on peut trouver l’expression dans certaines versions du spiritual Mary Don’t You Weep et dans le livre de la Genèse : God Gave Noah the Rainbow Sign/No More Water, the Fire Next Time.

Thématiquement, l’album chemine comme une procession, du baptême à la résurrection. Pour le titre d’ouverture, Travel, l’auditeur est invité dans l’esprit d’un homme sur le point de se donner la mort. Le suicide est un motif récurrent dans l’oeuvre de Baldwin – notamment dans “Go Tell It On The Mountain” (La Conversion) et “Another Country” (Un autre pays). Ce fut aussi constamment présent dans sa vie privée, de ses propres tentatives à la perte de son meilleur ami en 1946. Installant une ambiance dystopique, l’orgue de Julius Rodriguez et les incantations en échos de Staceyann Chin aident à introduire le chant de Justin Hicks : I’ll Stay Away With all the Work to be Done/I’ll be Bleeding While You Bake in the Sun.

Sur Raise The Roof, l’intensité des mots de Staceyann Chin incarne la déchirante réalité du racisme omniprésent auquel nous ne semblons pas pouvoir échapper : “It Must be in the Fucking Water Being Force-fed to the Police, the Prosecutor and the Politicians Who care Nothing for Black Bodies Falling Like Leaves in Late August…in Ferguson…in Cleveland…in Staten Island, Only Minutes Away From Where my Own Child Sits, Watching The Muppets Take Over Manhattan.

Hilton Als, spécialiste reconnu de la vie et de l’oeuvre de James Baldwin, prête ses mots à On The Mountain, inspiré par le premier roman de Baldwin dans lequel il recrée son enfance et son éducation torturée dans l’église à travers le prisme d’un adolescent précoce du nom de John Grimes. Soutenu par des couches de percussions hypnotiques d’inspiration ouest-africaines, Hilton Als construit un royaume spirituel pour John Grimes (et pour Baldwin) qui l’embrasse entièrement, sans sectarisme ni haine : “Not a Revolution of Blood, but of the Mind and Hands that Which Builds not Destroys.”

The Price of a Ticket est un hommage aux protest songs des années 1960, dans la veine de Dylan et Odetta. Les arrangements minimalistes de la chanson permettent à la guitare acoustique de Chris Bruce et aux parties vocales de Meshell Ndegeocello de résonner encore plus fort : Don’t Let Them Shoot me Down, and I Die. Hymne de dissidence des temps modernes, le titre rappelle que de telles chansons sont toujours pertinentes et nécessaires aujourd’hui.

La chronique de Christophe Chassol

7 min

Le prix à payer des Noirs est réel. Je ne crois pas que cette chanson avait besoin d’être davantage produite. Chris et moi avions l’idée musicale de départ et nous voulions que ce soit un morceau qui puisse se chanter pendant une manifestation” commente Meshell Ndegeocello.

Pride I & II est une suite musicale chargée de groove et fortement imprégnée de la musique ouest-africaine. La section rythmique y est au premier plan, notamment les percussions percutantes et la base dub caractéristique de Meshell Ndegeocello. Cela signale un éveil spirituel pour James Baldwin, peut-être un éveil qu’il n’a jamais pleinement vécu de son vivant, et pour Meshell Ndegeocello en tant que femme noire queer. Pour Ndegeocello, Pride est une revendication de l’identité de Baldwin, et de la sienne.

La fierté vient avant la chute – c’est ce que j’ai appris en grandissant. Mais j’ai aussi réalisé que la fierté nous monte parfois les uns contre les autres. C’est comme une grande distraction. Je ne m’identifie plus à la politique identitaire de toutes les lettres et à l’identité gay. Je ne vais pas les laisser m’étiqueter. Ce que j’aime dans le fait d’être accepté et élevé dans cette communauté, c’est que cela me permet de me contrôler ainsi que mon hypocrisie, et je pense que c’est un calcul que nous devons faire en tant que pays.”

Les chansons de “No More Water” sont interprétées avec une introspection franche qui imagine les conséquences de ce calcul. Sur Trouble, le batteur Abe Rounds joue d’une manière presque militaire tandis que Meshell Ndegeocello, Justin Hicks et Kenita-Miller Hicks chantent avec douceur, nous avertissant de la bataille qui attend ceux qui sont assez courageux pour prendre la charge. Thus Sayeth The Lorde, Tsunami Rising et Raise the Roof combinent les mots de Chin, de Baldwin et de la poètesse et activiste féministe Audre Lorde – une autre icône queer sous-estimée – et nous donnent à entendre trois générations de cris de ralliement. Love et Hatred (l’amour et la haine) sont, comme l’explique Baldwin dans “The Fire Next Time”, les deux faces d’une même médaille : tandis que certains enlèvent “le masque”, osant vivre dans leur vérité, d’autres “s’y accrochent”, car une fois qu’il aura disparu, ils devront faire face à la douleur qui se cache en dessous.

Baldwin Manifesto I & II placent à nouveau Chin à la barre. Déclamant un texte tiré du discours historique de Baldwin, “The Artist’s Struggle for Integrity”, Chin commence sans accompagnement, puis est soutenue par le saxophone de Josh Johnson. Baldwin souligne la valeur de l’artiste ainsi que son rôle et sa responsabilité envers le monde, en particulier en temps de crise.

Le chant émouvant de Down At The Cross complète l’album avec l’accompagnement de guitare envoûtant de Chris Bruce et le chant de Meshell Ndegeocello et Justin Hicks, qui reviennent sur la question du suicide. Pour de nombreux hommes noirs, notamment Baldwin, le suicide semblait être le seul choix. “Une fois que vous partez, il n’y a pas de retour en arrière / Est-ce que ce sera mieux ?

“No More Water” marque un moment important de découverte de soi pour Meshell Ndegeocello, qui estime que James Baldwin est entré dans sa vie au bon moment : “C’est arrivé alors que j’étais prête à me regarder dans le miroir. J’ai dû jouer Plantation Lullabies (son premier album, sorti en 1993, ndr) lors de quelques concerts récemment. Avec le recul, j’avais une perspective intéressante, mais le dialogue était limité. C’était davantage une expérience cathartique pour une jeune personne de couleur, alors que maintenant je me demande : “Comment puis-je nous faire aimer tous les uns les autres ? Comment puis-je nous amener à voir les choses telles qu’elles sont ?”
(extrait du communiqudé de presse)

Où écouter Meshell Ndegeocello

📍 A Paris (75) mardi 12 & mercredi 13 novembre à 20h30 au New Morning – concert enregistré pour Jazz Club de Nathalie Piolé.

📅 Agenda

  • Nirek Mokar & His Boogie Messengers , mardi 27 août à 21h30 & 22h30 au Caveau de la Huchette à Paris (75)
    Nirek Moktar (piano)
  • Lown Trio mercredi 28 août à 19h30 & 21h30 au 38Riv’  à Paris (75)
    Alexis Bajot-Nercessian (piano, claviers)
    Hugo Rivière (contrebasse)
    Pierre Demange (batterie)

💿 L’actu des sorties

  • André Ceccarelli, Diego Imbert, Pierre-Alain Goualch, David Linx “Le jazz et la java” . Parution chez Trebim Music. En concert le 24 octobre au  Studio de l’Ermitage à Paris (75).
  • Zack Foley “Silent Boomer X”. Parution chez JH.
  • Andromeda Turre “From the Earth”.

💙 Le coup de coeur de l’été

  • Ana Carla Maza “Caribe”, était en concert le samedi 03 août au Cosmo Jazz Experience à Luchon (31).

Open jazz

55 min

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