Théâtre de Carouge: «Chez Fréhel, rien n’est frelaté!»


Christine Vouilloz: «Chez Fréhel, rien n’est frelaté!»

La chanteuse et actrice Fréhel, pendant l’entre-deux-guerres: une fleur des pavés qui a connu tour à tour la gloire et la misère.

Posez la question autour de vous: qui se souvient encore de Fréhel? De sa voix cuivrée, de sa gouaille passionnée, de ses «r» qui roucoulent? Pas grand monde. Mauvais timing pour les hits – «Où sont tous mes amants?», «Tel qu’il est» ou «La java bleue»… – de celle qui passait pourtant pour «l’inoubliable inoubliée». Le cinéma, le jazz et l’industrie du disque ont éclipsé après-guerre le music-hall où elle avait brillé, la rue où elle s’était époumonée depuis l’enfance. Née un quart de siècle avant Piaf, Marguerite Boulc’h, de son vrai nom, est tombée d’un train en marche – mourant seule alors qu’elle s’effaçait déjà des mémoires.

Mais voici qu’un trio enfiévré élève au Théâtre de Carouge un monument à son fantôme. Familière des lieux, la comédienne valaisanne Christine Vouilloz embarque deux amis dans le tourbillon Fréhel. À sa droite, l’écrivaine Violaine Schwartz, auteure en 2013 d’un «Vent dans la bouche» dédié à la chanteuse; à sa gauche, le metteur en scène suisse Gian Manuel Rau. Pour une carte blanche en forme de solo scénique, tous s’exclament: «Fréhel c’est moi».

«Avec Fréhel, dans ce spectacle, nous formons comme les plis d’un même drap!»

Christine Vouilloz, comédienne

Qu’est-ce qui vous plaît tant chez Fréhel?

Christine Vouilloz: J’ai rencontré ses chansons toute petite. À 5 ans, j’adorais chanter Édith Piaf en famille, ce qui m’a tournée peu à peu vers les chanteuses réalistes – Mistinguett, Damia, Fréhel… Leurs chansons, on dirait des courts métrages, ça m’a touchée. Par la suite, pendant mes études à Strasbourg, j’ai rencontré Violaine Schwartz. Nous avons partagé notre passion pour Fréhel, qui nous paraissait très moderne dans sa façon de faire fi des lois établies. Dans la rue, elle haranguait les passants et improvisait des sortes de messes. Plus tard, Violaine est devenue écrivain et a publié son roman, dans lequel elle dit de Fréhel qu’elle était une punk avant l’heure.

Gian Manuel Rau: C’est l’histoire de sa vie qui me plaît. Son côté orphelin sans l’être, sa manière de tracer son chemin toute seule, entièrement autodidacte, en apprenant la ruse, en imitant les chanteuses des rues. Elle a compris qu’en étant entouré de pauvreté et de souffrance, on pouvait trouver là une façon de s’exprimer. «Ça sort de moi comme un cri», répétait-elle. À une vie pleine de blessures, la voix de Fréhel apporte une consolation.

Dans «Fréhel c’est moi», Christine Vouilloz interprète Madame Pervenche, une écrivaine qui s’identifie à Fréhel.

Qu’est-ce qui définit une chanteuse «réaliste»?

Christine Vouilloz: Il faut d’abord noter qu’il n’existe pas de chanteurs réalistes. Des hommes écrivent des textes et musiques pour des femmes, leur mettent dans la bouche des histoires de prostitution, de femmes battues, de déchirements amoureux. Ces chanteuses, souvent manipulées, n’ont pas appris à chanter, elles déversent leur coulée de boue, des choses pas propres et pas simples à dire.

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La considérez-vous comme une féministe?

Gian Manuel Rau: Incarner les mots et la musique qu’on lui refourguait comporte quelque chose de féministe. En véhiculant ces histoires à la première personne, elle détourne en quelque sorte la volonté de ses auteurs-compositeurs.

Christine Vouilloz: «Je joue aussi bien Fréhel à 6 ans sur une table de café que Fréhel écroulée sous les arbres de la place Blanche».

Vous la fredonnez sous la douche? Quelles chansons surtout?

Gian Manuel Rau: Sur le plateau du Carouge, nous n’arrêtons pas de la fredonner! Sa force est directe, immédiate, comme ce que je recherche au théâtre. Elle n’a pas le souci d’embellir. Elle chantait sans micro: un disque ne restituait à ses yeux que la moitié d’elle-même. Le contact direct avec l’audience était un ingrédient essentiel de son chant, qu’elle soit debout sur une caisse à savon rue Lepic ou sur la scène de l’Olympia. Ma chanson fétiche? «Sans lendemain».

Christine Vouilloz: Rien chez Fréhel n’est frelaté. Elle ne fait jamais d’effets avec sa voix. Elle ne se soumet pas à l’envie d’émouvoir, elle est émue. Sa «Java bleue» m’accompagne depuis petite.

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Que retenir surtout de sa biographie?

Gian Manuel Rau: Pas tant les faits spectaculaires – comme de dire «tchüss» à Maurice Chevalier! – mais le moment où elle découvre son autonomie, toute jeune, quand elle se lance. Ce toupet à aller sonner chez la Belle Otero pour se faire habiller avant de monter sur scène. Elle était sans peur. Malgré les années tragiques à Constantinople, son histoire n’est pas que glauque. La misère est là, mais contrebalancée par les noyaux de condensation de son courage.

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Comment reprenez-vous à votre compte le titre de votre spectacle, «Fréhel c’est moi»?

Christine Vouilloz: Nous sommes les poupées d’une même matriochka. Fréhel, c’est moi dans cette recherche que je mène aujourd’hui: je m’identifie à elle chaque fois que je me lance à dire le texte de Violaine. Et c’est moi en voulant garder une certaine fraîcheur même dans le cafard. Fréhel, si elle a fait tout de traviole, elle l’a fait dans la liberté.

Plusieurs figures féminines s’imbriquent dans «Fréhel c’est moi»: la comédienne Christine Vouilloz, son amie l’auteure Violaine Schwartz et la protagoniste de son roman qui les confond.

Fréhel, Violaine, Christine, quelle est la part de chacune dans la pièce?

Gian Manuel Rau: Elles sont profondément imbriquées, on navigue entre les niveaux comme entre des existences parallèles ou des doubles. L’écriture musicale, une sorte de «polyphonie du moi», ressemble à une fugue à trois voix. Sans pédale droite, surtout!

Christine Vouilloz: C’est comme les plis d’un même drap! Il se trouve seulement que c’est mon corps, ma voix, ma mémoire, ma chair qui sont là sur le plateau, il n’y a pas le choix!

Que serait Fréhel aujourd’hui, une rappeuse?

Christine Vouilloz: Peut-être!

Gian Manuel Rau: Une âme toujours en danger. Une chanteuse, de toute façon, mais très singulière. Sa force et son désespoir la rapprochent d’une Amy Winehouse. «Back to black» pourrait être de Fréhel! Tout tient à leur colère et à leur résistance: il faut se sortir de la misère par ses propres moyens. Et ce moyen, c’est la voix.

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