Dans les années 1980, la new wave connaît son heure de gloire et le hip-hop commence à supplanter le rock. Mais des centaines de jeunes Parisiens, eux, rêvent de rock garage et de psychédélisme à l’Acid Rendez-Vous.
Article rédigé par Olivier Richard et publié sur le Tsugi 165 : Culture Clubs, où va le clubbing ?
Paris, milieu des années 1980. Le rock gothique, la scène alternative, la Oi! et, toujours, le rockabilly prospèrent. Mais en 1984, TF1 a lancé la première et désormais légendaire émission de télévision au monde dédiée à la culture musicale qui monte : H.I.P.H.O.P. Ainsi, alors que le Gibus et le Rex accueillent régulièrement des concerts rock, les 120 Nuits, boulevard de Strasbourg à Paris, vont bientôt laisser place aux soirées funk-rap de Chez Roger. La nuit parisienne est sillonnée à cette époque par des groupes aux looks très affirmés qui se mélangent rarement, sauf pour se bastonner.
Ces années héroïques et tragiques (le début de l’épidémie du sida, une hécatombe) ont aussi coïncidé avec un mouvement souvent oublié, en l’occurrence un revival du punk/ garage 60s et du rock psychédélique aussi bref qu’intense. Un courant souvent symbolisé par les Cramps, un groupe américain aujourd’hui mythique qui fit office de passeur grâce à ses multiples reprises ou réinterprétations de titres garage et rockabilly (les originaux étant réunis dans les compilations Born Bad, qui ont donné leur nom à la boutique et au label parisiens). Toujours en 1984, les Cramps se distinguent d’ailleurs avec deux concerts d’anthologie à l’Eldorado, à quelques mètres des 120 Nuits, le premier se terminant par une charge de police. Son public chaud bouillant n’avait pas apprécié qu’un spectateur soit corrigé à coups de chaîne de vélo par un videur pour avoir osé monter sur scène. La foule avait répliqué en balançant une pluie de bouteilles sur tout ce qui bougeait…
Un rendez-vous démocratique
C’est heureusement dans une ambiance beaucoup plus pacifique, d’un calme rare pour l’époque même, que plusieurs centaines d’amateurs de rock des mid-sixties se réunissent tous les jeudis pour les soirées Corono emblématiques du mouvement à Paris : l’Acid Rendez-Vous. Organisé au Tabou, le fameux club jazz de la rue Dauphine à partir de 1984, l’Acid Rendez-Vous devient presque instantanément une des soirées les plus courues de la nuit parisienne branchée. Très démocratique, la soirée accueille des centaines de rockers, néo-hippies, mods, skins, punks, bikers et civils souvent très jeunes (la vingtaine voire moins) qui viennent se déhancher sur une playlist excellente où cohabitent The Trashmen, The Kinks, Jacques Dutronc, Serge Gainsbourg, The Doors et une sélection de pépites issues des compilations de référence du garage 60s américain, Nuggets et, surtout, de la série des Pebbles.
Coorganisateur de la soirée, Numa Roda-Gil, le fils du célèbre parolier, se souvient: « Mes vieux m’ont emmené voir des concerts très jeune. Le premier dont je me souviens, c’est celui des Faces avec Rod Stewart. Je me souviens clairement de Ronnie Wood, ses épaules étaient couvertes de plumes de corbeau! J’ai assisté aussi à des tas de concerts au Stadium (salle du XIII* arrondissement, ndr) comme The Clash ou AC/DC, j’avais environ 12 ans. Arrivent les années 1980: tu étais soit goth, soit dans le hip-hop. Moi, j’étais dans le rock des années 1960. Ma perception du rock a en effet changé avec ma découverte du 60s punk. La première fois que tu entends « Surfin’ Bird » des Trashmen, ça tue! Les Cramps ont ouvert beaucoup de portes mais il ne faut pas oublier que le mouvement était tellement riche que les Fnac avaient des bacs dédiés. En plus, cette musique a des connexions évidentes avec les séries B que j’adore… »
C’est en assistant aux soirées 60s organisées par les Spanish Meatballs, un groupe garage, que Numa et ses amis voient la lumière : « Rendons à César ce qui est à César: les Spanish Meatballs (le groupe du futur acteur Antoine Chappey, ndr) faisaient des soirées au Liberty, un club du Quartier latin, qui s’appelaient les Meatballs Rendez-Vous. J’y allais avec mes potes. Ils passaient du garage, du rock and roll, de la musique 60s. Quand j’ai eu 18 ans, je me suis dit qu’on allait faire pareil! » La direction du club se laisse convaincre facilement, car en manque de public les soirs de semaine. « Les clubs cherchaient des soirées thématiques. Elles leur permettaient de faire un bar de folie« , continue Roda-Gil. Au début, la soirée est bimensuelle puis, le succès venant rapidement, elle devient hebdomadaire. « Comme on était plus jeunes que les Spanish Meatballs, on a vraiment démocratisé le truc. »
Revival psychédélique
Face au succès, Roda-Gil et ses acolytes décident de déplacer leur soirée Rive droite, en l’occurrence au Baldi, une discothèque ouverte en 1923 par Augusto Baldi, un célèbre accordéoniste. Le club qui est rebaptisé La Java en 1985 après le décès du musicien, se trouve dans un sous-sol du faubourg du Temple, à quelques encablures du Gibus, le club rock de référence de l’époque. « C’était un peu la soirée où tout le monde se réunissait sans s’embrouiller. Il y avait des mods, des skins, des punks, des bourgeois, des minettes, tout ce beau monde se mélangeait autour du même son. Il n’y a jamais eu de mauvais délire, un miracle !« , explique Roda-Gil. Quelques célébrités participent à la fête : on aperçoit par exemple Johnny Thunders au bar. Une des filles de Hugo Pratt est, paraît-il, une habituée, à l’instar de Nina Childress, l’ancienne chanteuse de l’ovni punkoïde Lucrate Milk, par ailleurs artiste peintre. « Nina était un des personnages de la soirée, elle était sapée d’une manière magique« , se remémore Roda-Gil. L’intéressée confirme : « Je me sentais un peu comme une petite star. Quand j’arrivais, tout le monde me regardait, il y avait quelque chose de grisant, explique l’artiste aux tenues dignes de la BD Barbarella de Jean-Claude Forest. Quand j’ai arrêté Lucrate, je suis allée vers ce qu’ils détestaient pour les faire chier, c’est-à- dire les hippies – que je détestais aussi cela dit. J’ai commencé à écouter de la musique psychédélique en réaction au punk, comme une boutade. Au début des années 1980, on trouvait aux Puces encore beaucoup de vêtements des années 1970 et des copies de fringues psychédéliques, c’était passé dans le prêt-à-porter. J’avais plein de vêtements de ce genre. »
À l’instar de Numa Roda-Gil, éternel fan de comics, les visuels du rock 60s, en particulier psychédélique, fascinent Nina. « Avec ce revival psychédélique, notre petite bande avait l’impression de créer quelque chose. En plus, cela faisait avancer ma peinture. Je suis d’ailleurs assez nostalgique de cette période de ma jeunesse qui continue de m’influencer aujourd’hui. Je pense que cela vient de quelque chose que nous avons tous en nous : un goût pour les images que nous avons vues et aimées pendant notre enfance. Je suis franco-américaine et j’avais vu ce genre d’images quand j’avais 7-10 ans dans les rues et à la télé aux États-Unis. Elles étaient très formatrices, la preuve, j’ai encore envie d’en parler aujourd’hui ! »
Certains soirs, l’Acid se métamorphose en galerie où sont exposées les peintures d’artistes comme Nina. « J’avais fait une expo pendant plusieurs jours. J’avais un tableau à l’entrée et d’autres en bas. Je faisais des expériences avec des stroboscopes qui donnaient l’impression que mes tableaux bougeaient. En fait, j’étais une sorte de militante du psychédélisme. En 1984, c’était un peu ridicule puisqu’on était quinze, mais ça me passionnait ! Il y avait pas mal d’héroïne qui circulait dans la nuit parisienne, l’ambiance était assez glauque, pas très LSD. Nous, on jouait à “Peace and Love” !« , poursuit l’artiste. De son côté, Numa Roda- Gil confie : « On prenait beaucoup d’acides, les soirées étaient l’occasion de se marrer. À la fin de la soirée, comme on était en descente, on finissait chez un traiteur de la porte de Vanves qui ouvrait très tôt pour les brocanteurs. Après l’acide, on passait au petit salé aux lentilles et on regardait le jour se lever. »
Au contraire du Gibus ou du Rex de l’époque, l’Acid Rendez-Vous n’accueille pas d’artistes en live à une exception de taille : Nino Ferrer. Numa Roda-Gil explique : « Un pote connaissait quelqu’un qui l’avait interviewé pour Actuel. Comme on jouait ses disques, on a récupéré le contact. Tout était simple à l’époque, il a suffi de passer un coup de fil. Il était tout seul avec sa guitare et n’avait aucune idée de l’endroit où il arrivait, il devait s’attendre à faire un showcase dans une maison de retraite. Il a commencé à jouer et les gens se sont mis à pogoter ! Je pense que le mec s’est fait un kif comme rarement dans sa vie ! Mais on a préféré que ça reste un one-shot, notre trip c’était les soirées, pas l’organisation de concerts. » Mais, en 1986, alors que les Cramps s’apprêtent à effectuer la plus grande tournée française de leur histoire (comprenant un Zénith à Paris) et que le revival garage atteint son apogée, Roda-Gil et ses acolytes décident de passer à autre chose à la surprise générale. « On en a eu marre, ça devenait un train-train. À partir du moment où ça a commencé à nous gonfler, on a fait une croix dessus. Juste avant le Covid, on s’est dit qu’on allait en refaire un pour la madeleine, mais on a bien sûr laissé tomber à cause de l’épidémie. Depuis, on n’en a pas reparlé…«
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