La compositrice, cheffe d’orchestre et pianiste Marianne Trudel marque ses 20 ans de carrière dans le monde du jazz en lançant un triptyque d’albums témoignant de l’étendue de son registre. Piano (et harmonium !) solo sur À pas de loup. Quiet sounds for a loud world, en duo avec le percussionniste John Hollenbeck sur Dédé Java Espiritu, et en trio lorsque s’ajoute le bassiste Rémi-Jean Leblanc sur Time Poem. La joie de l’éphémère. Un projet né dans la pandémie dont les envolées mélodiques et les atmosphères apaisantes résonnent en cet automne de tous les bouleversements.
L’exploit que réussit Trudel ici n’est pas d’offrir d’un seul coup trois albums de compositions (et improvisations) originales, mais d’en offrir trois d’exceptionnelle qualité. « Pour moi, ce projet est un triptyque puisque ce sont trois facettes de ma personnalité musicale, trois albums nés dans la même période pandémique, et trois albums très complémentaires. Et les trois ont comme liant mon amour pour la nature », illustré d’ailleurs par les pochettes des albums.
Le solo d’abord, dans l’esprit plus près de la musique contemporaine que de ce que l’on entendra comme du jazz, quoique dans l’esprit de la compositrice, « le jazz, c’est la prise de risques — et j’ai pris un risque avec cet album, qui, du point de vue stylistique, tombe un peu entre les craques ».
« C’est la première fois que je fais un album “au ralenti” », explique Marianne Trudel, qui le qualifie aussi de « refuge » musical dans lequel elle s’est blottie à l’été 2021, en pleine pandémie. « C’est comme si tout était sur une autre fréquence ; habituellement, dans mes albums, y’a une grande variété d’ambiances, de tempos, d’émotions, de paysages, alors que là, tout est au ralenti, en douceur. Un album où le silence a sa place », et sur lequel elle joue pour la première fois de cet intrigant harmonium qui traînait au fond du Studio PM. « Ce n’était pas dans mes plans d’en jouer, mais j’ai vraiment l’âme de l’improvisatrice. Les deux pièces sur l’album sont improvisées — j’ai tellement aimé cette sonorité si enveloppante ! »
Une part du mystère, de l’esprit de l’album solo a percolé dans Dédé Java Espiritu, l’album en duo avec Hollenbeck, formule présentée en concert l’été dernier lors du Festival international de jazz de Montréal. La conversation entre la pianiste et le percussionniste (qui déploie un impressionnant registre de nuances et de sonorités) repose encore beaucoup sur l’improvisation, à partir de thèmes composés par Trudel : « John et moi, on arrive sur scène, on ne se parle pas — c’est d’ailleurs un homme de peu de mots —, et là, ça part, watch out ! Et on ne se dit rien, c’est magique, et c’est ce qui s’est passé en studio. Et oui, y’a quelque chose de profond et de spirituel dans cet album. »
Lorsque se joint Rémi-Jean Leblanc, le triptyque de Trudel retrouve des formes jazz plus traditionnelles, rehaussées par le jeu coulant du bassiste et les chatoyantes phrases mélodiques de la compositrice, qui rappellent sa formation de musicienne classique. L’album a été composé en Gaspésie, et en souvenir de l’ingénieur de son Rob Heaney, du Studio PM, proche collaborateur de Trudel sur ses précédents albums. C’est lui qui l’a motivée à recommencer à écrire de nouvelles pièces, en plein coeur de la pandémie. « Son décès subit — la veille, je le prenais dans mes bras ! — m’a ébranlée. J’ai écrit neuf pièces en neuf jours, en sa mémoire. J’ai appelé ça La joie de l’éphémère parce que lorsque tu perds quelqu’un comme ça, si abruptement, ça te rappelle la fragilité de la vie et la chance pour nous d’être vivants. On oublie que chaque jour pourrait être notre dernier. »
Carla Bley vue par Marianne Trudel
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