L’universel, c’est le local moins les murs : Gérard Pierron pourrait reprendre à son compte ce credo, lui qui n’a pas son pareil pour s’approprier des auteurs rares et les rendre accessibles à tous, par la grâce d’une mélodie sans âge. Exemple parfait de cette réussite, Les Mangeux d’Terre, mise en musique du poète anarcho-rural Gaston Couté, devenu quasiment un tube : refrain tellement évident que dès la première écoute, on croit le connaître depuis toujours, comme s’il s’agissait d’une chanson ancestrale transmise de bouche à oreille, de père en fils… alors qu’elle ne date en réalité que de la fin des années 70. Magie de ces mélodies limpides et populaires que le compositeur paraît enfiler sans effort – évidemment, il ne faut pas s’y fier : la belle ouvrage aux finitions parfaites cache souvent un rude labeur d’artisan en coulisses…
Pour son nouveau disque, Chansons en charentaises, sous-titré « Poésie et magie de la boule de fort », l’artiste a choisi un point de départ microscopique : la boule de fort, jeu régional proche de la pétanque, mais d’un principe et d’une conception plus sophistiqués ; « sport » a priori méconnu, passe-temps privilégié de quelques villages d’Anjou. Chanté jadis par Emile Joulain, ce jeu a stimulé la rêverie de Gérard Pierron, attentif au cheminement lent de ces boules ciselées comme des objets d’art.
Tout ceci n’est évidemment qu’un prétexte, thème imposé visant à mettre en branle l’imaginaire de ses auteurs : « la boule de fort, monsieur, c’est une idée qui roule », dit la première chanson, qui croise en chemin d’autres thématiques plus universelles – amitié, fête, vin, et haine de la flicaille… Pierron voit les cercles de boule comme les derniers bastions d’une fraternité vacillante, menacée par le capitalisme galopant et la maréchaussée ; « chapelles ouvrières » où de rudes paysans se laissent, entre deux parties, aller à la poésie…
Amoureux des « poètes maladroits », il a commandé des textes aux gens du cru, voisins ou relations, connaisseurs du jeu et de la région. Mais authenticité rurale ne rime pas forcément avec laisser-aller : ces auteurs quasi-inconnus (Loïc Costes, Patrick Piquet, Gilbert Carpentier, Patrick Baladin, Dominique Solamens), loin d’être manchots, accouchent d’une poésie simple et belle, pleine d’humanité et de trouvailles – où les vers de mirliton côtoient d’authentiques bijoux. Pour encadrer ces nouveaux venus, Pierron a placé en ouverture et conclusion des textes d’Allain Leprest et Emile Joulain, poètes de renom, qui les chapeautent sans leur porter ombrage. Subtile élégance de l’hôte généreux, qui traite ses invités sur un pied d’égalité : les auteurs peuvent être charcutier, instituteur, épicier, ingénieur ou « professionnels » de la poésie… Portés par cette voix fraternelle, les hiérarchies s’effacent, et les auteurs débutants, épaulés par les plus chevronnés, livrent le meilleur d’eux-mêmes.
Dans sa chanson, totalement inédite, Leprest trace une généalogie « légendaire » de la boule de fort, jeu marin sédentarisé. Il s’agit là d’une thématique chère à Pierron, celle du vieux loup de mer devenu campagnard – illustrée jadis par l’emblématique « Terre-Neuvas des Foins« . Sur un accompagnement de guitare dépouillée, le chanteur entonne une mélodie fort simple ; puis, au fil des couplets, d’autres instruments s’immiscent, saxos alto et baryton, donnant un tour plus sophistiqué à ce qui semblait n’être, au premier abord, qu’une modeste bluette.
C’est la grande intelligence du disque : pour illustrer cette pratique rurale, il fallait éviter la redondance d’une orchestration « terroir », à base de flonflons et musettes. Gérard Pierron l’a bien compris, qui a laissé ses musiciens, issus du jazz ou de la musique brésilienne, broder des arrangements subtilement complexes à ses chansons apparemment si simples. Ainsi, il évite de tomber le piège de la franchouillardise, et se garde bien de rejoindre la cohorte des « imbéciles heureux qui sont nés quelque part » : amour des régions ne signifie pas repli sur soi, et Pierron, citoyen du monde, teinte sa musique aussi bien de couleurs jazz, java ou bossa.
Francis Jauvain (accordéon, accordina, saxo), Patrice Larose (guitare) et Tony Baker (piano, Fender) ont retenu le message de Nougaro : la danseuse de java (« Petite Etincelle« ) se cambre sous les chorus jazzy ; et l’hommage à « Poireau« , inventeur de la boule, swingue comme dans un New Morning provincial ! Néanmoins, malgré ces pointures, l’album ne tombe jamais dans la vaine démonstration : la virtuosité des musiciens est au service des mélodies de Gérard Pierron, dont la voix claire et chaleureuse marie le savant au trivial, le poétique au prosaïque, l’universel au régional.
Le disque est généreux, à l’image de son compositeur-interprète : dix-neuf plages, plus d’une heure de musique répartie entre chansons (une douzaine), textes lus ou récités, instrumentaux (trois)… Certains titres reposent sur une formule hybride, moitié parlée moitié chantée, où Pierron nous conte des histoires agrémentées de refrains. Dans son genre, La Leçon du Grand Père est un petit chef d’œuvre d’humanité, histoire de transmission d’un grand-père à son petit fils, au rythme lent d’une jument fraternelle. C’est beau, tendre, et la mélodie touche au cœur comme une berceuse. Malgré ses huit minutes, on ne s’en lasse pas une seconde.
Il faudrait des heures pour recenser toutes les réussites de ce disque impeccable. Signalons entre autres « Les Magasins Bleus« , fable anarcho-champêtre où la maréchaussée revient encore et toujours perturber les ébats de joyeux drilles nostalgiques des hécatombes chères à Brassens. Autre réussite, « Jour de Finale » recrée l’exaltation du village un jour de compétition. C’est drôle, gentiment anecdotique… mais avec en arrière-fond une de ces mélodies contagieuses dont Pierron a le secret, qui donne envie de faire « La La La » à tue-tête tandis qu’un joueur, visiblement éméché, prophétise : « tout ça finira mal, point final ! »
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