Plongez dans le making of de l’album de toutes les démesures signé les Rolling Stones : le bien-nommé Exile on Main Street. Le double album culte, sorti en 1972, célèbre cette année ses 50 ans. Flashback et visite de la Villa Nellcôte à Villefranche-sur-Mer, où se sont déroulées les premières séances sous l’objectif du photographe Dominique Tarlé, avant que les Stones ne s’envolent pour Los Angeles pour les dernières captations.
17 juin 1972 : Exile on Main Street de The Rolling Stones est n°1 aux États-Unis
Des jeunes mariés, des invités défoncés comme des portes, des chansons par dizaines. Et de la dope, des tonnes de dope. Mais aussi beaucoup de rock’n’roll. Retour sur l’un des enregistrements les plus déjantés de l’histoire du rock : Exile on Main Street des Rolling Stones.
Au début de l’année 1971, côté romance, tout semble aller pour le mieux pour Mick comme pour Keith, qui lui file le parfait amour avec Anita Pallenberg. Charlie, lui est marié depuis 1964 avec Ann Shepherd et Bill, entre deux mariages, continue de collectionner les groupies. Côtés finances et professionnel, c’est une autre béchamel. Arrivant à son terme cette même année, le contrat liant les Rolling Stones avec leur label d’origine Decca pousse le groupe à créer dans la foulée sa propre structure, Rolling Stones Records, et signe un contrat de distribution avec Atlantic Records.
Exit Decca
Parallèlement, le groupe limoge Allen Klein, leur « banquier » qui, des années durant, leur a avancé des fonds considérables. En clair, Mick, Keith et les autres lui doivent tous une montagne de fric. En outre, une partie de l’argent versé aux Stones a été dissimulée au fisc britannique. Pour sortir de cette impasse, le groupe (Mick en particulier) sollicitent une connaissance, le prince Rupert Loewenstein. Financier bavarois de très haute volée, il doit les aider à régler ces problèmes financiers. Klein accepte de rompre son association avec les Stones mais exige en contrepartie la propriété des droits d’édition de tous les enregistrements existants. Les Stones, eux, ne toucheront plus que des royalties. En outre, le passif dû à la Couronne d’Angleterre est si important que les membres du groupe sont menacés de faillite personnelle.
Loewenstein leur conseille alors de quitter Londres le temps d’éteindre leurs créances fiscales mais aussi pour éviter la taxation de 80 % appliquée sur les revenus les plus élevés. Après un rapide regard sur une mappemonde, Mick, Keith, Bill et Charlie choisissent le sud de la France. Ils partent s’installer aussitôt sur la Côte d’Azur.
Love story à Saint-Tropez
Au printemps 1971, alors que les Stones sont désormais résidents français et s’apprêtent à publier Sticky Fingers, sur leur propre label, dont le logo deviendra aussi célèbre que le groupe, Bianca apprend qu’elle est enceinte. Aussitôt, Mick la demande en mariage.
Le 12 mai, l’union a lieu à Saint Tropez, où le jeune couple vient de s’installer dans un manoir qu’il loue à un cousin du prince Rainier de Monaco. Pour l’anecdote, Mick affrètera un jet privé afin d’amener sa famille et ses amis de Londres – ses parents Joe et Eva, les Beatles Paul McCartney et Ringo Starr ainsi que leurs épouses, les membres des Small Faces dont Ronnie Wood, ou le cinéaste français Roger Vadim. Après une petite cérémonie civile, Mick et Bianca (« radieuse dans une robe blanche au décolleté vertigineux signée Yves Saint-Laurent », rapportera un tabloïd) se dirigent dans la Bentley blanche du marié vers l’église Sainte-Anne, une chapelle catholique datant du XVIIe siècle située sur la baie de Saint-Tropez où, à la demande Bianca, le thème du film Love Story sera joué lors de l’échange des vœux.
Bill, de son côté s’installe à Saint Paul de Vence, où il se lie d’amitié avec le peintre Marc Chagall et Charlie s’achète une demeure dans les Cévennes, une ancienne ferme qu’il possède toujours. Keith, lui, choisit une demeure de maître, La villa Nellcôte à Villefranche-sur-Mer, une gigantesque bâtisse tentaculaire construite au XIXe siècle et qui présente l’avantage d’avoir un énorme sous-sol où les Stones installeront leur matériel.
Villa Nellcôte breakdown
Au cours de l’été 1971, les Stones commencent à travailler sur de nouvelles chansons et font venir chez Keith le studio d’enregistrement mobile que Ian Stewart et Andy Johns ont installé à l’intérieur d’un camion. Afin de faciliter les séances d’enregistrement, Mick, Charlie, Mick et Bill s’installent dans la maison de Keith, plutôt que de rentrer chez eux, évitant ainsi de faire des allers-retours quotidiens de plusieurs dizaines de kilomètres. Très rapidement, les Stones et leur entourage transforment la villa Nellcôte en véritable palais de la décadence où les orgies et les parties de défonces entrecoupent les prises de sons.
Témoin privilégié de cette aventure ? Le photographe Dominique Tarlé qui s’est retrouvé téléporté au milieu des Stones. “Eh bien, d’abord, j’étais un jeune photographe inconnu, et fauché, explique celui qui continue de se décrire comme simple passionné de photographie et de musique. Lorsque j’ai appris que les Stones déménageaient dans le sud de la France, j’ai gardé le contact avec les personnes qui travaillaient pour eux, et l’idée était de passer un après-midi avec chacun d’eux dans leur nouvelle maison où ils pourraient recevoir leur famille et leurs amis ; et c’était le printemps dans le sud de la France, une lumière et un temps magnifiques. Je suis donc venu rendre visite à Keith le temps d’un après-midi. Et à la fin de l’après-midi, j’ai remercié tout le monde pour ce beau moment, et il m’a regardé, interrogatif : ‘Mais où vas-tu ? Votre chambre est prête, et vous restez six mois.’ Et deux ou trois jours plus tard, Keith me signale : ‘Vous portez toujours le même t-shirt.’ J’ai répondu : ‘Je suis venu pour un après-midi, et je n’ai pas apporté de vêtements.’ Et Keith de rétorquer : ‘Viens avec moi. » Et donc, pendant six mois, j’ai porté les vêtements de Keith, tu vois ?’” Tarlé reconnaît à quel point Keith était bienveillant avec lui : “ Et parfois, il me demandait : ‘Tu as assez de pellicule pour prendre des photos ?’, et je répondais : ‘Pas trop.’ Il me donnait une grosse poignée de billets et me disait : ‘Prends la limousine avec le chauffeur, va t’acheter de la pellicule. Un photographe sans pellicule, c’est comme une guitare sans cordes’.’’
C’est donc là, dans cette somptueuse bâtisse néo-classique dotée de seize chambres qu’a pourtant été en grande partie enregistré l’un des plus grands double albums de l’histoire du rock, Exile On Main Street. Mais les mômes d’ici ne savent pas qui sont les Rolling Stones. Faut croire que les temps ont changé. Exile On Main Street ? C’était un album qui suintait la dope, le blues et la débauche, au son prodigieusement envoutant, beaucoup moins loose qu’on ne l’a souvent écrit, même si drivé par un Keith Richards alors totalement dans la poudre. Instinctivement, le guitariste savait comment ce disque devait sonner, quels styles de musique il devait emprisonner dans ses sillons de vinyle. Car en marge des ragots qui circulait sur la Villa Nellcote, de la musique se créait dans les sous-sols sombres et humides du manoir… une musique convoquant tous les états d’âme qui tissent et meurtrissent la vie des hommes, tous les sons venus d’Amérique. Une sorte de road-movie sonore sublimement fracassé écrit et joué à huis clos, dans un espace-temps figé, coupé du monde réel. « C’était très obscur et poussiéreux. Très confiné, confiera Keith Richards à Rolling Stone, au moment de la réédition augmentée de l’album en 2010. Mick Taylor et moi, nous nous cherchions à travers la pénombre et on se disait, ‘hey, c’est dans quelle tonalité’? C’était très hitlérien. Comme la chute de Berlin. »
L’aura sulfureuse qui entoure Exile on Main Street a certainement contribué à son statut de disque mythique et Keith Richards n’est pas le dernier à avoir joué avec – en perpétuant, entre autres, la légende selon laquelle Nellcote avait servi de QG à la Gestapo pendant la Seconde Guerre Mondiale. “J’y suis resté au total six mois, reprend Tarlé, et donc pendant les trois mois, je vivais avec “une famille anglaise”, en vacances dans le sud de la France, et trois mois plus tard, ils décident d’enregistrer le nouvel album dans le sous-sol de la maison où je vivais. Donc, ce qui est fantastique, c’est de découvrir la façon dont ces gens travaillent, parce que la musique n’est pas écrite sur un bout de papier, ou quelque chose comme ça. C’est fantastique de voir Keith arriver au studio, il a une idée pour une chanson, et il va jouer la chanson à la section rythmique.”
« Ce n’est pas mon album préféré »
Keith, Anita, ainsi que Gram Parsons prennent de l’héroïne. Si Mick – qui n’a jamais été un consommateur de drogues dures –, tolère leur attitude, Bianca, au contraire, ne supporte plus ces scènes de débauche. Enceinte de Mick et devant accoucher à l’automne, Bianca ne veut plus rien savoir du reste du groupe, y compris d’Anita, enceinte également. « Mick ne descendait plus dîner avec nous parce que Bianca refusait de nous voir », rappellera Anita. Quelques jours plus tard, Mme Jagger sera de retour à Paris où, loin de la villa de Keith, elle passera le plus clair de son temps.
Naissance d’un album
Sans Bianca, Mick se sent un peu seul, d’autant plus que Keith et Parsons sont devenus très proches. « Avec le recul, je pense Mick était très jaloux de mes autres amis masculins, précisera Keith avant d’ajouter : Il y a une étrange possessivité chez lui, même si c’était encore très vague pour moi. Cependant, d’autres personnes me l’ont également fait remarquer. Peut-être essayait-il de me protéger. » Au final, Parsons quittera Nellcôte et, à partir de ce moment-là, Mick et Keith se concentreront sur leurs nouvelles chansons.
De ces mois de débauches et d’intrigues sortira un double album, Exile on Main Street. Mick n’aime pas vraiment cet album – peut-être à cause des ses conditions d’enregistrement, qu’il estime peu professionnelles – car capté avec une unité mobile et non dans un véritable studio. « Ce n’est pas mon album préféré », dira-t-il sèchement. Et surtout, en dehors de titres comme « Tumblin Dice », « All Down The Line » et la chanson solo de Keith, « Happy », Mick constate que quelques pistes seulement, sur la vingtaine de chansons qui composent l’album, se prêtent à une transposition en live : « C’est peut-être l’album idéal à écouter, mais il est totalement injouable une fois sur scène… » Keith, de son côté, dira plus tard qu’Exile est « peut-être ce qu’on a fait de mieux. »
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La tournée la plus rentable… Ever
Fin Octobre, Bianca donne naissance à Paris à une petite fille prénommée Jade, mais Mick n’aura pas beaucoup de temps pour profiter de sa nouvelle paternité. D’autant plus qu’au début de l’année 1972, il se trouve à Los Angeles en train de travailler sur les derniers mixes d’Exile on Main Street. L’héroïnomanie de Keith devient si problématique qu’il se fait hospitaliser afin de suivre une cure de désintox dans une clinique suisse. Dès le printemps et la naissance de sa fille, Dandelion (qui se re-prénommera Angela d’ailleurs), Richards se sent enfin assez bien pour rejoindre Mick et le reste du groupe à Montreux, où ils commencent à répéter pour une énorme série de concerts en Amérique du Nord. Concerts qui coïncideront parfaitement d’ailleurs avec la sortie d’Exile à la fin mai 1972. La tournée sera lancée début juin à Vancouver, au Canada, et se terminera avec trois dates au Madison Square Garden, à New York, à la fin du mois de juillet.
Les Stones donneront en tout 51 concerts qui rapporteront pas moins de quatre millions de dollars, ce qui en fera la tournée la plus rentable de l’Histoire du rock. Cette fameuse tournée de 72 passera à la postérité pour ses concerts exceptionnels et pour l’ambiance orgiaque des coulisses, sorte de prolongement des délires de la Villa Nellcôte. Cette tournée-défouloir de deux mois permettra tout de même aux Stones d’établir le mètre-étalon de la débauche pour rock-stars. Habillé de combinaisons moulantes assorties de foulards, ceintures et autres bracelets, et outrageusement maquillé et les cheveux saupoudrés de paillettes, Mick joue à fond son rôle de Jumpin’Jack Flash ; aussi les journalistes chargés de raconter ces concerts ne manqueront de superlatifs pour décrire les performances exceptionnelles du chanteur.
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Retrouvez l’intégralité de cet article dans notre nouvel hors-série consacré aux Rolling Stones, actuellement chez votre marchand de journaux. Ou dispo par ici.
Des livres-photos incontournables sous forme de témoignage visuel ont été publié par le photographe Dominique Tarlé, où il raconte visuellement le making of d’ Exile On Main Street, à la Villa Nellcote où il a séjourné six mois, avant que les Stones ne s’envolent pour Los Angeles pour les dernières captations.
Dominique Tarlé expose ses œuvres à la Galerie de l’Instant, 46, Rue De Poitou, 75003 Paris et pendant l’été, retrouvez ses photos jusqu’au 2 octobre 2022 à la Galerie de Nice, 58 rue Gioffredo.
La Villa, The Rolling Stones 1971, par Dominique Tarlé, le livre format 33-tours regroupant les clichés pris par le photographe, est disponible ici.
D’autres ouvrages de Dominique Tarlé sont aussi disponibles ici
Belkacem Bahlouli
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